Nous avons appris le tir, le 11 novembre, d'une louve, F259, dans le cadre de l'autorisation de la meute du Mont-Tendre (Jura Vaudois). Cette louve avait été équipée d'un collier GPS dans le cadre du projet d'étude "Wolves and Cattles", piloté par le KORA, l'UNIL et la Direction Générale de l'Environnement vaudoise (DGE). Le 30 octobre 2024, elle a été endormie sur le territoire de la meute du Marchairuz, équipée d'un système de surveillance pouvant fournir, toutes les 4 heures, des informations sur sa localisation. Le suivi a montré sa présence sur la France voisine, principalement en Franche-Comté, autour de Mouthe (Doubs), Mignovillard (Doubs) et Foncine-Le-Haut (Jura). Depuis peu, elle semblait être revenue dans le Jura Vaudois, sur le territoire de l'ancienne meute du Risoud, disparue fin 2024/début 2025.
Son tir, qui a eu lieu sur le territoire de la meute du Mont-Tendre et le périmètre validé par l'OFEV, montre de nombreuses problématiques inquiétantes, qui se produisent sous diverses formes, dans plusieurs cantons et que nous allons exposer en plusieurs points :
L'établissement des périmètres de tir par les autorités compétentes.
Le point noir de cette régulation proactive est sans conteste les périmètres de tir autorisés. En effet, en regardant dans les dossiers et le suivi des meutes, nous constatons qu'ils sont, bien souvent, beaucoup trop vastes, prenant l'entier du territoire d'une meute. Or, scientifiquement, nous savons qu'il est impossible d'établir des limites claires et précises à un territoire de loup. Il conviendrait donc de proscrire tout tir ou forme de régulation sur les zones tampon (qui doivent impérativement être établies et prises en compte), périphériques ou encore sur des crêtes ou aux abords de rivières en délimitation de deux territoires. Aujourd'hui, les périmètres englobent ces zones là, ce qui conduit inévitablement à l'abattage de membres de meutes voisines (en Valais) ou de disperseurs, qui choisissent souvent ces zones là pour traverser des territoires occupés. Nous avons déjà deux phases de régulation derrière nous, qui nous ont montré nombre de points qui peuvent et surtout doivent être améliorés voire modifiés pour la phase suivante. A ce jour, malheureusement, les périmètres de tir restent les mêmes d'une année à l'autre, y compris lorsque des louveteaux de meutes non engagées dans la régulation se font abattre, une faute grave devant impérativement conduire à une réévaluation. Il incombe donc aux autorités fédérales et cantonales de prendre les mesures qui s'imposent et d'apporter un examen plus approfondi des erreurs et conséquences après chaque phase régulatoire.
Dans le cas du Jura vaudois, où les meutes ont quasiment systématiquement à leur tête un membre issu des meutes voisines, l'établissement des périmètres de tir doit être analysé de manière encore plus pointue, en limitant les périmètres de tir. La "tolérance" est plus grande sur les zones tampon, qui peuvent, elles aussi, être plus vastes. La population doit, elle aussi, comprendre qu'au vu du fonctionnement de l'espèce Canis Lupus, il y aura toujours des disperseurs qui pourraient perdre la vie en traversant des territoires de meutes engagées dans la régulation proactive ou réactive. Nous ne considérons pas cela comme une erreur en soi, c'est plutôt une problématique qui est malheureusement en lien avec la dynamique de dispersion, la nécessité de trouver des territoirs libres et de devoir, pour se faire, risquer gros en traversant le domaine vital d'une meute. D'ailleurs, le risque est également l'attaque par la meute, qui peut blesser voire tuer le loup solitaire étranger.
Y a-t-il des solutions pour tenter de baisser ces tirs ne visant pas des individus de meutes régulables ? Oui, il en existe au moins deux : assurer un suivi approfondi, en collaboration avec d'autres entités pour avoir plus de données et d'interactions et restreindre drastiquement les périmètres de tir, pour éviter les zones à risque ! Cela est assez logique mais nous constatons, surtout en 2025 dans les dossiers de certains cantons, qu'elles ne sont pas appliquées ou prises en compte puisque l'OFEV/BAFU valide des périmètres de tir faisant la totalité des territoires de meutes, une aberration scientifique certaine. Quant au suivi, il est loin d'être suffisamment approfondi et la transparence est loin, elle aussi, d'être totale sur les données récoltées. Le contenu des dossiers de demande de régulation devient, d'ailleurs, de plus en plus sommaire et laconique, rendant impossible le pointage des données pour s'assurer de leur justesse. Et au vu du nombre grossier d'erreurs de tir, de fautes graves qui sont passées inaperçues, il est clair que quelque chose ne fonctionne pas ou plus. Or, lorsqu'on parle de réguler une espèce, soit d'êtres vivants, il est impérieux, obligatoire, de fournir un maximum de données et d'analyses approfondies, qui devraient être pointées par d'autres organismes en possédant également, afin de pouvoir optimiser la compréhension du sujet et prendre des décisions adaptées.
Communication et évaluation
Dans ce cas précis, il conviendra de prendre en compte les données récoltées par le KORA, grâce au collier GPS, et de comprendre pourquoi la présence d'une femelle à proximité du territoire d'une meute décimée par les tirs entre août et septembre (décès de la femelle reproductrice en outre) et sur lequel reste un mâle reproducteur libre (M351), n'a pas mené à des évaluations sur l'évolution probable de la situation. En effet, on ne peut nier le risque élevé que cette louve, sur laquelle une étude scientifique est en cours (= importance de la garder en vie), présente à proximité du territoire du Mont-Tendre, puisse rejoindre le mâle reproducteur dans une phase de dispersion reconnue et importante. En Valais, certaines femelles ayant perdu leur mâle entre septembre et octobre ont mis moins d'un mois avant de retrouver un partenaire, ce qui pourrait indiquer l'efficacité de la dispersion à cette période automnale, propice à la fondation de nouvelles meutes. Au vu du suivi GPS, il aurait peut-être été recommandé de stopper, momentanément, les tirs afin d'observer le comportement de F259. Ou de largement réduire le périmètre de tir puisque la grande majorité de la meute a désormais passé de vie à trépas.
Il semblerait qu'autant en amont qu'en aval, les conséquences de tir sur un individu ou une meute, ainsi que les connaissance sur l'espèce, ne mènent visiblement pas à une réflexion et à des analyses approfondies. Cette absence de recul et d'évaluation des autorités supérieures est particulièrement critiquable et démontre à quel point ces dernières avancent (presque) à l'aveugle, consultant la politique mais aucunement la science, ce qui une aberration lorsque l'on prend des décisions concernant des êtres vivants, où tout est évolutif et doit être constamment réévalué. De nombreuses erreurs ont été constatées, autant dans les demandes de régulation (qui malgré cela ont été validées soit par l'OFEV/BAFU soit par Monsieur Rösti lui-même, désavouant au passage tout son département...!) que dans la pratique et l'effet des tirs sur le terrain et les conséquences dans les mois ou l'année qui a suivi. Il est assez inquiétant de constater qu'on donne feu vert à l'abattage de meutes n'ayant commis qu'une seule perte en situation protégée, qu'on abatte des espèces en dehors du loup (4 cas en 2 ans), qu'on réussisse à abattre des loups adultes à la place de louveteaux au mois de septembre (gabarit absolument pas identique) ou encore qu'on soit incapable de communiquer suffisamment pour suspendre des tirs en présence d'une louve localisable, histoire de ne pas mettre fin à un projet qui coûte très cher et qui ne pourra, désormais, plus fournir de données pourtant indispensables.
Problème de communication entre les services, les gens de terrain, les institutions ? Possible, cela devra être évalué et des conséquences devront en être tirées, notamment dans l'Ordonnance et dans les procédures de tir ! On peut déjà affirmer que nombre de données, pourtant publiques et pouvant être partagées, ne sont pas délivrées ou avec des délais n'alimentant pas la confiance et la transparence. Pour un canton, ladite communication mais aussi la collaboration est totalement impossible, alors que c'est malheureusement celui qui commet le plus d'erreurs, ceci explique cela quand on fonctionne en vase clos et que les entités supérieures n'ont ni l'envie ni le temps d'examiner en profondeur ce qui devrait pourtant clairement être pointé.
Échec des buts fixés par le législateur
La façon dont cette régulation proactive est mise en place démontre que les buts fixés par Albert Rösti, Conseiller Fédéral, ne fonctionnent aucunement, en tout point. En voici les raisons :
* Obtenir un effet éducatif
Parlons de l'effet éducatif : abattre un loup en pleine montagne/forêt, sans troupeau ni habitation, sans la présence obligatoire de sa meute et sans qu'il ait lui-même forcément commis des attaques, c'est totalement inefficace, la flèche est tellement éloignée de la cible que ça en est risible. Un loup qui ne revient pas à la meute ne permet pas à cette dernière de comprendre ni d'assimiler quoi que ce soit. Un individu abattu au moment d'un passage en forêt, même devant la meute, ne pourra lui donner d'indication sur les comportements à adopter. Tirer des loups adultes en laissant des louveteaux ensuite se débrouiller seuls ou éduqués par des subadultes inexpérimentés, cela n'amènera pas non plus un quelconque effet éducatif ni positif.
La diminution des attaques ? L'OFEV se base sur les chiffres nationaux pour démontrer une légère baisse mais oublie totalement de prendre la situation régionale en compte, sur le territoire des meutes visées. Là encore, les chiffres ne montrent pas la même baisse significative, c'est également un échec. Diminuer les pressions sur les zones problématiques ? Il faudra alors expliquer, notamment au Valais, qu'en visant des meutes stables, y compris leurs louveteaux, on prend la ficelle par le mauvais bout. Sans compter que le tir de 50% de loups non reliés aux meutes visées, qui ne sont souvent même pas identifiés sur des lieux d'attaques, on ne supprime aucun problème, aucune pression.
En conclusion, cet énième cas montre les grosses problématiques engendrées par la régulation proactive, telle qu'appliquée sur le terrain et écrite dans l'Ordonnance. Cette dernière comporte de nombreux flous artistiques, qui sont non seulement suspicieux (permettant une adaptation large par les cantons, sans règles strictes pour encadrer sainement les pratiques et décisions) mais également non basée sur la science et le fonctionnement du loup, du vivant. Les autorisations de tir sont délivrées donc avec, parfois, une grande largesse, non justifiée ni justifiable, et des problèmes autrement plus sérieux, qui ont été énumérés dans nos rapports précédemment transmis à l'OFEV, à la Convention de Berne et à la LCIE.
Nous faisons le choix, dans cet article, d'expliquer, de fournir des solutions plutôt que de critiquer. Le tir de cette louve, se trouvant bien sur le périmètre de la meute du Mont-Tendre, n'est pas une erreur en soi. Mais tout ce qui entoure les tirs comme celui-ci, soit d'individus appartenant à des meutes voisines, blessés, portant un collier GPS ou encore n'appartenant pas à l'espèce visée (4 cas jusqu'ici), montre des problématiques sévères, qu'il faudra résoudre urgemment, autant pour respecter les lois, le bien-être de l'animal que pour éviter une aggravation des pressions et attaques ces prochaines années. Ne nous leurrons pas, elles ne descendront jamais et seront surtout fluctuantes puisque plein d'autres facteurs sont à prendre en compte, en dehors des tirs régulatoires.