Mission Loup

Meute du Chablais - Chronique d'un chaos annoncé

Le 03/09/2025

La meute du Chablais s'est formée en 2019, sur un vaste territoire qui englobe une partie de la Suisse (Bouveret-Torgon-Troistorrent- Val d'Illiez-Morgins-Chésery) mais aussi de la France (Cornettes de Bise-Abondance-Châtel-Mont de Grange-Pré de la Joux). Elle est donc, et a toujours été, une meute transfrontalière. Nous disposons d'ailleurs de preuves solides de présence en France, grâce au suivi de nos collègues français. Cette meute, formée par M88 et F43, est la troisième meute à s'être installée en Valais, après celles de l'Augstbord et d'Anniviers-Réchy (à l'époque appelée Val d'Anniviers). Elle a eu une portée chaque année jusqu'en 2023 puis, suite à la disparition de M88, abattu lors de la première phase de régulation proactive, ne s'est pas reproduite en 2024. Le retour d'un nouveau mâle reproducteur, non identifié génétiquement à ce jour, a mené à une nouvelle reproduction avec la femelle d'origine mais surtout...à une augmentation des attaques ! Nous tenons à expliquer la situation actuelle en détail, sans langue de bois, afin que la population puisse comprendre comment, d'une meute stable et peu prédatrice, nous en sommes aujourd'hui à une pression intense sur le monde pastoral local.

Meute chablais decembre 2024

 

La meute du Chablais n’a jamais été très prédatrice en ce qui concerne les animaux d'élevage. Elle est loin d’avoir le palmarès d’autres meutes comme Augstbord ou Nanz, où, par ailleurs, la protection des troupeaux reste largement perfectible et souvent non évolutive (en 2023 & 2024, 99% des attaques en situation protégée ont eu lieu sur des troupeaux protégés que par des clôtures, sans chien, sans berger et avec un contrôle journalier tout au plus - et ce depuis plusieurs années (1)).

Entre 2019 et 2023, soit en 5 ans d'existence, la meute du Chablais n’avait, elle, jamais atteint le seuil de huit victimes en situation protégée (ou sur pâturages non protégeables - une autre aberration qui n'évolue pas), qui aurait permis de demander un tir réactif selon la loi (LChP/OChP). Pendant toutes ces années, aucune autorisation n’a donc été sollicitée : la preuve claire que cette meute n’avait pas développé de comportements non souhaitables envers les troupeaux.

En 2023, elle n’avait commis aucune attaque en France. Un éleveur français, dont l'estive se trouve sur une zone tampon entre deux meutes et qui a souhaité évoluer dans ses méthodes de protection (chiens, clôtures, berger), nous avait même reproché, lors d'une discussion à l'annonce des candidates à la régulation, cette « décision totalement incompréhensible et stupide », tant la meute du Chablais n’avait posé que peu de problème jusqu'ici. Et nous ne pouvons absolument pas lui donner tord, bien au contraire. Il avait compris ce qui échappe encore aux autorités, aux politiciens et aux opposants valaisans (et suisses) : la nécessité de conserver les meutes stables, bien installées, depuis un moment et qui n'ont pas créé d'habituation sur les animaux d'élevage ! Le proverbe le dit très bien "à trop vouloir, l'on perd tout" ! 
 

Une régulation incompréhensible


En décembre 2023, malgré cet historique stable, la meute du Chablais a été incluse dans la régulation proactive. Nous avons été très surpris, fâchés même tant la situation était incompréhensible, scientifiquement et factuellement parlant. La logique des autorités cantonales nous a paru claire : réduire le nombre de meutes, indépendamment de leur comportement réel. Dans les faits, c'est bien ce qui s'est passé.

Le Service de la chasse annonçait alors vouloir réguler 7 meutes sur 13. Le hic est que ce chiffre total annoncé était faux ! En effet, voici les deux raisons qui ont conduit à cette évaluation erronée :

* une meute avait été comptée deux fois : Nendaz-Siviez et Fou-Isérables avaient le même couple reproducteur (M246 & F136), une seule et même meute donc.

* les meutes transfrontalières n’avaient pas été comptées comme demi, contrairement aux recommandations de l’Office Fédéral de l'Environnement (OFEV).

En réalité, il y avait 9,5 meutes, et non 13. Abattre 7 meutes sur 13 n’a pas la même portée que 7 sur 9,5. Une approximation lourde de conséquences, qui illustre les lacunes de suivi, de gestion et de communication.
 

La perte d’un mâle reproducteur stable
 

Entre décembre 2023 et janvier 2024, un seul loup de la meute a été tué : le mâle reproducteur, M88. Le second individu abattu, un louveteau, n'appartenait pas à la meute du Chablais mais, très vraisemblablement, à celle de la Dent d'Oche. Au vu du délai assez court entre la mort de M88 (5 janvier 2024) et la période de reproduction, la conséquence pouvait être prévisible : aucune portée n'a vu le jour en 2024. La femelle reproductrice, F43, n’a pas eu le temps de trouver un nouveau partenaire mais elle est restée avec ses jeunes, subadultes et louveteaux 2023. Elle a été aperçue avec 6 autres membres au printemps 2024 en France puis, à la fin de l'automne, elle n'était plus accompagnée que de 2 congénères, la dispersion ayant joué son rôle naturel. 

Le couple M88 & F43 était stable depuis des années. La cohésion entre ces deux membres fondateurs aurait encore assuré plusieurs saisons sans trop de pression. Mais la disparition du mâle a ouvert la voie à l’arrivée d’un nouveau prétendant, au travers de la dispersion. Ce nouvel individu, on ne peut jamais rien savoir de lui à l'avance, en termes de personnalité/caractère, d'expériences & d'apprentissages vécus (positifs & négatifs), d'éducation ou encore de possession ou non de patrons moteurs problématiques, etc. Bien souvent, les remplaçants de membres reproducteurs décédés sont plus jeunes et moins expérimentés, fruit de la dispersion, avec son lot d'expériences au passage. Dans le cas de meutes stables, avec un mâle équilibré, posé, il y a de très fortes chances pour que son successeur se révèle nettement plus problématique. 

Et nous l’avions annoncé publiquement : intervenir dans une meute stable risquait d’ouvrir la porte au chaos, d'être la nouvelle chronique d'une augmentation des attaques sur les animaux d'élevage. 
 

Une prédation en forte hausse
 

La réalité n’a pas tardé à confirmer nos craintes, fort malheureusement. Le nouveau mâle reproducteur de la meute du Chablais a exercé une pression nettement plus forte sur les troupeaux locaux cet été 2025, avec nombre d'attaques, y compris sur des veaux. Au 3 septembre 2025, la meute du Chablais a déjà prédaté 23 animaux d'élevage en situation protégée — soit trois fois plus que son taux de prédation annuelle durant ses cinq premières années d’existence. Les données officielles indiquent 21 cas sur la carte interactive, ces divergences non expliquées entre bases de données n’aident pas à instaurer la confiance. 
 

Une aggravation des conflits

Aujourd’hui, la meute du Chablais a été annoncée à nouveau sur la liste de la régulation proactive, avec une disparition totale programmée. Bien que les conditions semblent remplies (avant consultation du dossier de demande de régulation), nous tenons à être très clairs : les conséquences observées sont directement liées aux choix des autorités cantonales, elles en portent l'entière responsabilité ! En intervenant tout azimut dans des meutes stables, peu portée sur la prédation d'animaux d'élevage, elles aggravent les problèmes qu’elles prétendent résoudre. Le but fixé, qu'elles ont mentionné dans leur dernier communiqué, est de diminuer les conflits sur les zones problématiques. Il est clair qu'en s'attaquant à des meutes sous contrôle, ayant tué moins de 8 victimes annuelles en situation protégée (et n'ayant jamais dépassé les quotas de régulation réactive pour la plupart d'entre elles), voire en abattant des louveteaux appartenant à ce type de meutes, elles s'éloignent totalement de cet objectif, pour ne pas dire qu'elles vont à contre-sens. 

Outre les changements au sein de couples reproducteurs stables, avec les conséquences qui pourraient en découler, des interventions mal étudiées, sans recul ni analyse, provoquent un autre type de problématiques.
En 2025, de nombreuses attaques attribuées, selon le canton, à des loups solitaires ont déjà été relevées. Ces dispersions sont également une des conséquences directes de la déstructuration des meutes. Les conflits se multiplient non seulement sur le territoire concerné, mais également dans les zones voisines. En effet, 2 loups étiquetés comme solitaires par les autorités ont tué 111 moutons en quelques semaines, sur des lieux proches des meutes de Nanz et de l'Augstbord.
 

Une méthode sans cohérence
 

Le cas de la meute du Chablais n’est pas isolé. Des meutes stables comme celle du Simplon (3 pertes en situation protégée en 2 ans), des Posettes (1 perte en 2 ans), Nendaz-Isérables (4 pertes en situation protégée en 2 ans + 1 veau de moins de 14 jours) ou Anniviers-Réchy (1 attaque en situation protégée en 4 ans, défauts constatés dans la clôtures) sont elles aussi ciblées. Pourtant, ce sont précisément ces meutes équilibrées — avec une prédation majoritairement axée sur la faune sauvage — qui devraient être préservées pour assurer une régulation naturelle et limiter les conflits. Lors de la seconde phase de régulation, des meutes ont même été visées pour 1 seule perte en situation protégée à l'année (Hérens-Mandelon, Les Toules & Nendaz-Isérables), une aberration qui pourrait également conduire à un futur chaos.

Mais les autorités semblent s'obstiner à vouloir abattre sans distinction, y compris des louveteaux dans des meutes peu ou pas problématiques, plus focalisées sur les proies sauvages que domestiques. Et ce sont justement ces jeunes là, issus de lignées stables, qu'il est important de ne pas éliminer, dans l'optique de remplacer des reproducteurs disparus ou de reprendre des territoires libérés. Car ne nous leurrons pas : les effectifs de loups ne chuteront pas avec une régulation ainsi pratiquée, il y a aura donc toujours des places à repourvoir, des dispersions et de nouvelles meutes qui occuperont des territoires nouveaux ou libérés. Un tel manque d'évaluation des conséquences à moyen/long terme est assez navrant et dénote une politique bien trop présente dans la prise de décision, alors que la science semble être, elle, aux abonnés absents. Il devient évident que les solutions risquent fort de ne pas en être, et pourraient engendrer de nouveaux problèmes. 
 

Quelle solution ?
 

Dans le cas de la meute du Chablais, une approche scientifique et ciblée existe pourtant : identifier et neutraliser l’individu problématique — en l’occurrence le nouveau mâle reproducteur — plutôt que d’éliminer toute la meute. Les preuves sont là pour comprendre comment agir justement, sans aggraver la situation. 

Car la réalité, basée sur les faits présents en Suisse, est simple et doit être prise en compte : une meute stable n’est jamais exempte de pertes (3 à 7 victimes par an en moyenne), mais elle limite l’escalade des conflits. Ce sont les meutes instables, ou les loups solitaires issus de dispersions (forcées également), qui provoquent des dégâts bien plus importants. Dès lors, il est urgent de comprendre que le zéro perte n'existera plus jamais (tout comme le zéro tir). Conserver des meutes peu conflictuelles, dont les faibles prédations touchent de plus différents élevages (soit 2-3 pertes annuelles maximum par élevage, cela restant entièrement dans le domaine du supportable), est une meilleure solution que de vouloir toucher à tout, déstabiliser, libérer des territoires, sans évaluer les possibles conséquences. Tout comme dans un jeu d'échec, il est nécessaire de réfléchir aux prochains coups, en étudiant toutes les possibilités.

 

Conclusion
 

La régulation telle qu’elle est menée en Valais ne répond pas à son objectif déclaré, qui masque les réelles intentions politiques, que l'on voit néanmoins poindre au travers des décisions prises. En effet, en s’attaquant à des meutes stables et peu prédatrices, les autorités créent de nouvelles tensions, qui risquent probablement de mener à une accentuation de la prédation sur les animaux d'élevage mais aussi de fragiliser la coexistence. Quand elles se rendront compte que les pertes ne diminuent pas, voire augmentent, la tentation (qui en Valais passera directement à l'intention) sera de tirer encore plus, ce qui correspond à une fuite en avant, qui aggravera encore la situation. 

Préserver les meutes équilibrées, améliorer réellement la protection des troupeaux (chiens, bergers, clôtures adaptées), garantir son évolution (programmes de chiens de protection à mettre en place urgemment, études sur diverses mesures ou nouvelles méthodes, etc.) et cibler les individus véritablement problématiques : voilà la seule voie capable d’apporter une solution durable.

 

"A la meute du Chablais : nous sommes désolés de cette tournure négative, on ne peut plus prévisible et qui n'aurait jamais dû arriver.
Nous espérons que tu trouveras refuge en France, où le suivi continuera afin de nous assurer que tout se passe bien."


(1) Régulation du loup en Valais: premier bilan, risques et voies d’amélioration 
(Arlettaz Raphaël & Germanier Isabelle - 2025)


Article : Team Mission Loup
Photos : I. Defawes (meute du Chablais)